Erno RENONCOURT
Un calme apparent dans la terreur
Les nuits allant du 2 au 4 mai ont été plus sereines. Malgré les fureurs des échanges de tirs entre brigadiers, policiers et gangs, nous avons pu dormir au moins pendant 3 heures de temps pendant ces 2 nuits. Fait rare depuis presque 4 mois. Nous vous laissons deviner l'impact stressant causé par une dégradation cumulée de la qualité du sommeil (moins de 1 heure par nuit, et jamais de manière continue) sur un temps aussi long, notamment sur ceux et celles qui, comme nous, avons vécu des épisodes d'AVC ischémique. Il est plus que certains que ceux et celles qui survivront à cette terreur ne seront pas pour autant exempts de séquelles lourdes, voire handicapantes.
Mais, tant bien que mal, rassurés par la présence, plus permanente, et les interventions plus méthodiques des forces policières et citoyennes antigangs, nous avons pu nous reposer. Toutefois, il reste manifeste que la menace des gangs, pardon des terroristes transnationaux, n'est pas totalement écartée. En effet, nous devons infléchir le langage pour l'adapter à la nouvelle réalité, puisque, selon les récents développements internationaux, les gangs haïtiens sont officiellement désignés, par le gouvernement des États-Unis, comme des groupes terroristes transnationaux. Et cela change beaucoup de choses car, anticipant l'insignifiance et la mécréance manifestes et notoires des groupes dominants haïtiens, cette désignation laisse présager de sombres jours pour Haïti. Et tout laisse supposer que le leadership national haïtien n'a pas l'intelligence stratégique, et encore moins éthique, pour comprendre les enjeux géostratégiques qui se profilent derrière cette désignation, et anticiper les actions pour éviter le plongeon dans l'abîme vers lequel Haïti dérive à vitesse vertigineuse. Comme sur le théâtre de l'échiquier global, les évènements s'accélèrent aussi sur l'échiquier du local, puisque comme nous l'avions dit précédemment, c'est une même version de l'indigence que nous expérimentons selon des versions locales. Tout cela s'aligne donc parfaitement sur la perspective du pogrom, longtemps planifié, mais toujours empêché, qui doit conduire à cette dépopulation nécessaire à la reconfiguration de l'espace territorial et social haïtien. Et c'est ce dont nous voulons parler durant ce calme.
Vibrations empathiques et engagement authentique
Mais avant de nous plonger sous les strates fumantes des réussites précaires et médiocres d'où émerge le leadership national haïtien, pour mieux caractériser l'imaginaire des groupes dominants haïtiens dans ses ramifications de mécréance accréditée et d'insignifiance anoblie, nous demandons aux lecteurs et lectrices de nous permettre de remercier ceux et celles, d'Haïti et d'ailleurs, qui nous ont apporté leurs messages de solidarité, témoigné leur sympathie et manifesté leur empathie à notre endroit. Ces marques de bienveillance à notre attention résonnent et vibrent d'une puissante chaleur humaine qui démontre un attachement certain, d'une petite communauté de lecteurs et lectrices dans le pays et dans les diasporas d'Haïti disséminées dans le monde, à nos productions insolentes. Preuve s'il en fallait que ceux et celles qui sont systémiquement intelligents savent que les bruits de forme, même en altérant le débit d'un message, n'enlèvent pas sa valeur informative. Puisque l'intelligence humaine est le grand régulateur de l'entropie et peut trouver le temps pour décoder le bruit et donner du sens au message transmis.
Savoir que notre engagement résolu et entêté, fait de sacrifice professionnel, de privations sociales, de solitude familiale, pour garder notre dignité vive et irradiante commence par être reconnu pour ce qu'il est, comme une esthétique de l'authenticité et une armure contre l'indigence, par une minorité, est pour nous une immense victoire. Savoir que, par-delà notre blacklistage, dans cet écosystème à la réussite enfumée qu'est Haïti, notre petite flamme bleue d'insolence est perçue comme un possible attracteur pour la grande introspection anthropologique haïtienne, est une reconnaissance qui nous honore. Non seulement, cela nous encourage à trouver la force de continuer, mais nous oblige surtout à dire merci, et à nous laisser vibrer dans la foi d'un possible destin partagé, malgré les divergences qui nous structurent. C'est le contre don qui vient honorer la mémoire vive du don bienveillant et empathique. Aussi nous disons merci au site militant Le Grand Soir qui publie nos messages régulièrement et leur permet de traverser le rideau opaque du réseau merdiatique haïtien, touchant ainsi, bien au-delà des frontières du local, un public diversifié. Merci aux rares médias haïtiens qui ont publié hasardeusement certains de nos messages dans des temps où notre radicalité n'était pas aussi consumée. Merci aux lecteurs et lectrices, d'Haïti et d'ailleurs, qui prennent le temps de lire nos longues et souvent extravagantes tribunes. Merci à ceux et celles qui relaient nos alertes pour bousculer les consciences. Merci à ceux qui prennent de leur temps et de leur influence pour donner échos de nos insolences dans leurs propres réseaux ou leurs propres émissions.
Et comment, dans la terreur et la solitude de ces derniers mois qui nous ont mis à l'épreuve du sursis, oublier de remercier ces passeurs qui ont voulu nous offrir un abri plus sûr pour nous faire sortir de notre zone de retranchement menacé ; lequel s'est vidé de ses résidents, nous exposant ainsi à un éventuel assaut des terroristes. Qu'ils sachent que notre décision de rester, malgré les risques, dans cet espace, sur ce territoire dont nous connaissons chaque parcelle, est en cohérence avec notre engagement : ni fuite vers l'inconnu déshumanisant devant les incertitudes ; ni soumission devant les puissants par peur des précarités ; ni prolongement de la vie en temps d'indigence, sans stratégie intelligente pour affronter l'avenir. C'est ce repère tipédant qui oriente notre modeste existence, et fait briller d'insolence notre humanité.
Et malgré toutes les animosités, les privations, les blacklistages, que ce repère scintillant nous oblige à supporter, nous sommes résolus, dans notre engagement authentique, à rester plus que jamais digne, à vibrer d'intranquillité cognitive pour extraire de notre soleil noir, quoique déclinant, un ultime rayon de pédagogie, et le projeter vers ceux qui, par méconnaissance d'autres possibles plus dignes, agonisent d'indignité dans le shithole. En brillant d'insolence dans le shithole, nous ne faisons que mettre en scène une nouvelle maïeutique pour vivre la loi du don bienveillant et du contre don intelligent, en transmettant dans l'écosystème, avec nos émotions et notre raison, ce que nous avons appris, avec nos sens, de notre corps à corps avec la vie. Ultime lutte de l'intelligence éthique pour réactiver ce sens du collectif autorouté, dans les nuits fauves des luttes pour le pouvoir et la réussite, vers l'insignifiance et la mécréance. Autoroutage qui est sans doute à la base de cette désensorialisation de l'existence, par laquelle Haïti s'auto-déshumanise. Ce qui se joue dans cette terreur dépasse notre petite personne. C'est tout une population à qui on interdit le droit à la dignité. C'est tout un rêve de liberté qu'on assassine. C'est tout un pan de l'histoire des grandes révoltes humaines qu'on obscurcit et enfume. Conscients de ces enjeux collectifs, il nous semble prioritaire d'aller au bout du rêve exalté de la PoÉthique, en fredonnant les notes de ce chant de l'inespéré, lequel peut augurer, parmi les possibles émergents, le refrain du changement de l'homme haïtien par l'authenticité. Et pour clore ces vibrations authentiques, permettez que je termine en rappelant avec emphase que :
Même au plus profond de la terreur que sèment les terroristes et leurs sponsors nationaux et internationaux, dans cette nuit sanglante, froide, obscure et déshumanisante, dans laquelle la population haïtienne trébuche et découvre sa solitude, un seul relais scintillant, faisant vibrer en échos-systèmes subversifs des colères intelligentes et des aigreurs éthiques, peut souvent suffire à embrasser soudainement l'horizon de lueurs rougeoyantes d'espérance. Dans ce message court résonnent des vibrations d'empathie qui irradient les raisonnances du cœur pour éclairer la mémoire des luttes comme une PoÉthique de l'engagement. Une ode pour oser le changement et l'innovation par une nouvelle politique de l'homme, non plus fondée sur des slogans et des objectifs universels, mais sur l'authenticité.
A vous tous qui vibrez dans les résonances de ce billet, je vous dis merci. Car c'est par votre ouverture d'esprit que mon insolence brille dans la nuit du shithole. En faisant vivre mes insolences, vous êtes comme des lucioles : vous vous illuminez et vous vous relatez d'arbres en arbres, dans cette forêt obscure, peuplée de prédateurs, pour frayer un chemin vers une ligne de fuite irradiante et porteuse d'espérance active, au voyageur égaré qui cherche le scintillant éthique dans la nuit ensanglantée.
Par ce message, qui laisse augurer le prolongement de mon sursis, je vous laisse comprendre que ma prochaine tribune n'est pas très loin. Et elle s'attachera, dans la continuité des précédentes, à raisonner sur l'errance anthropologique haïtienne, en apportant cette fois des exemples de cas de l'insignifiance et de la mécréance qui fissurent l'imaginaire des groupes dominants haïtiens.